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STACY MARTIN : ANGE MAGNÉTIQUE 

Nous l’avons découverte dans Nymphomaniac, film choc du réalisateur Lars von Trier sorti en 2013, il y a tout juste dix ans. Depuis, l’actrice de 33 ans n’a cessé de jouer, alternant personnages historiques et fictifs, cinéma d’auteur français et productions étrangères.

Aujourd’hui à l’affiche du film La Graine de la réalisatrice Éloïse Lang, aux côtés de François Damiens et de Marie Papillon, elle joue aussi dans le nouveau film de Martin Provost, Bonnard, Pierre et Marthe, dans lequel elle incarne Renée Monchaty, maîtresse du peintre qui troubla un temps le couple fusionnel joué par Vincent Macaigne et Cécile de France. Le film sera présenté à Cannes dans la sélection « Cannes Première ». 

Rencontre avec Stacy Martin, actrice au talent magnétique. 

15 h 10

Hôtel Monsieur George – Paris

 

Vous êtes franco-britannique et avez vécu quelques années au Japon. Vous avez donc grandi dans trois cultures différentes. Quels traits de caractère avez-vous précieusement gardés de chacune de ces trois cultures ?

Je vais commencer par le Japon, car j’ai des souvenirs très précis et très forts de mon expérience en école élémentaire. J’ai surtout été impressionnée par la manière que les Japonais ont de rendre les jeunes enfants autonomes. Par exemple, durant le déjeuner, un chariot est déposé devant les salles de classe et ce sont les élèves qui, seuls, distribuent les plateaux et, une fois les repas terminés, débarrassent et les remettent sur le chariot. Tout cela s’effectue de façon naturelle sans aucune présence d’adulte. J’ai donc été très indépendante très jeune et continue à l’être. J’ai également été très touchée par leur sens de l’éthique dans le travail. J’essaie de garder cette valeur que je trouve précieuse, et encore plus dans le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. 

De la France, j’ai gardé la curiosité et l’intérêt pour les gens. J’aime aussi pouvoir me poser à la terrasse d’un café et simplement observer les personnes qui passent… C’est très français…

Mais j’ai aussi développé le sens de la réflexion et la capacité à dire non. Je pense véritablement avoir acquis ces aptitudes ici, à Paris. Savoir dire non est essentiel pour moi et n’est en rien lié à quelque chose de négatif ou de conflictuel. J’ai une certaine capacité à analyser et à prendre du recul avant de dire oui ou non. Donc quand je dis non, c’est non. 

Enfin, de l’Angleterre, je pense avoir l’humour, ce qui n’est pas toujours facile à l’étranger, et peut-être aussi mon côté réservé. Je vis à Londres depuis des années et j’y ai développé ma culture théâtrale et cinématographique. Je me sens chez moi en Angleterre. 

 

© François Berthier

Si quelqu’un ne connaissait pas votre filmographie, quel film aimeriez-vous qu’il découvre en premier ? Et pourquoi ? 

Je pense au film Joueurs de la réalisatrice Marie Monge. J’ai beaucoup aimé le film et le tournage. Certains plans m’ont fait penser à l’univers cinématographique de Wong Kar-wai, et ce parti pris de laisser au film des respirations est assez rare au cinéma pour être souligné. Marie Monge laisse une place à l’imagination du spectateur, et je trouve cela très intéressant. 

Je ne connaissais pas bien Tahar Rahim, mais nous avons très vite trouvé notre jeu. Tahar Rahim a cette capacité de lâcher prise et d’investir son personnage tout entier. Nous étions en confiance et notre duo a fonctionné grâce à cela, je pense. Le film n’a pas connu le succès attendu et c’est bien dommage. Je pense qu’il aura une seconde chance. Ce serait mérité.

© François Berthier

J’ai l’impression que les films que vous choisissez sont davantage vécus comme des expériences collectives que juste comme l’interprétation d’un personnage. Plutôt que d’être focalisée uniquement sur votre rôle, vous semblez vous investir dans un projet tout entier. Est-ce le cas ?

Vous savez, le meilleur moment pour moi est lorsque l’on vous appelle pour vous annoncer que vous avez décroché le rôle, c’est un sentiment très étrange d’excitation, d’euphorie, de peur et de stress. Toutes les émotions se mélangent, c’est merveilleux ! Un nouveau projet commence et tout s’enchaîne : les préparations, la rencontre d’une nouvelle équipe, les échanges avec le réalisateur, le tournage, les décors, les costumes… Le rôle existe grâce à toute cette énergie collective et donc, oui, ce que j’aime au cinéma, c’est le projet tout entier. Évidemment, l’étape du processus de création d’un personnage – se documenter, chercher les traits de caractère ou parfois la ressemblance physique – est aussi très stimulante et très enrichissante. 

© François Berthier

Justement, vous alternez les rôles de personnages historiques et fictifs. On pourrait imaginer qu’incarner un personnage qui a existé est plus facile, car plus d’éléments et de matière sont accessibles, mais est-ce réellement le cas ? On pense au personnage de la Charpillon que vous interprétez dans le film de Benoît Jacquot, Dernier amour, ou à celui de Anne Wiazemsky dans le film Le Redoutable de Michel Hazanavicius, ou encore au personnage historique très mystérieux de Renée Monchaty que vous jouez dans le dernier film de Martin Provost, Bonnard, Pierre et Marthe, présenté à Cannes cette année. 

En effet, le processus est différent. On ne se prépare pas de la même manière lorsque l’on incarne un personnage qui a existé. Pour le film de Benoît Jacquot, le costume, le maquillage, la coiffure, les décors vous plongent très rapidement dans le personnage de la Charpillon. 

Pour le rôle d’Anne Wiazemsky, ce qui était très intéressant, c’était le parti pris du réalisateur, Michel Hazanavicius, qui ne souhaitait pas que mon personnage devienne la copie conforme de l’écrivaine – alors que le film est inspiré du roman Un an après écrit justement par Anne Wiazemsky. Il voulait au contraire que mon personnage reflète toutes les muses de Jean-Luc Godard : un mélange de Anna Karina, Brigitte Bardot, Anne Wiazemsky… Et construire mon personnage à partir de toutes ces muses a été très intéressant pour moi.

Enfin, pour le film de Martin Provost, la création du personnage de Renée Monchaty, en effet très mystérieux, était plus complexe car nous savons très peu de choses sur elle. Mais l’idée est de trouver un point de départ lié au caractère ou au physique, et là, en l’occurrence, nous trouvions intéressant de partir sur sa couleur de cheveux, un blond très spécifique à Bonnard et à ses peintures. Cette caractéristique a été pour moi le point de départ pour façonner ensuite son caractère et cette part de mystère. 

© François Berthier

Certains rôles vous entraînent dans d’autres disciplines artistiques, comme la peinture, l’écriture… Quelles sont vos autres passions en dehors du cinéma ? 

Ce n’est pas évident d’avoir du temps pour d’autres activités quand on enchaîne les projets – et j’ai beaucoup de chance pour cela ! Mais j’aime énormément aller dans les musées. C’est très beau et très émouvant de se retrouver seule devant un tableau, un chef-d’œuvre. Et j’aime le mélange des publics dans les musées, qui varie selon l’heure à laquelle vous y allez. Dernièrement, je suis allée au Musée Magritte à Bruxelles, que je vous conseille d’ailleurs, si vous ne connaissez pas. Il y avait un groupe d’enfants avec un guide, et j’ai adoré les écouter donner leur avis sur les différents tableaux, sans aucune retenue, c’était spontané, drôle ! Et parfois, à d’autres moments, c’est très silencieux et cela m’apaise… 

 

Et au cinéma, quels films vous ont profondément touchée ? J’ai vu sur votre compte Instagram que vous aviez mis en avant deux films : Heureux comme Lazzaro de Alba Rohrwacher et Onoda, 10 000 nuits dans la jungle d’Arthur Harari, deux films très puissants qui m’ont aussi bouleversée. Pourquoi ces choix ? 

Le film d’Alba Rohrwacher m’a beaucoup touchée. C’est un film magnifique qui donne de l’espoir en l’humanité. L’histoire est très belle et c’est très bien mis en scène. 

Dans le film d’Arthur Harari, j’ai surtout été captivée par la performance d’acteur et les plans incroyables. Deux films à voir, oui ! Et dernièrement, j’ai aussi beaucoup aimé Revoir Paris d’Alice Winocour, un sujet pas facile, mais elle a su garder de la pudeur et du respect, et je pense que c’est un film qui doit faire du bien à toutes les personnes qui ont vécu de près (et même de loin) ce drame.  

Et je change totalement de registre, mais j’ai dernièrement vu un film très expérimental, particulier (dans le bon sens du terme), Azor d’Andreas Fontana, super intéressant !   

 

© François Berthier

Et des acteurs qui vous touchent particulièrement ? 

Yolande Moreau est une actrice qui me bouleverse ! Elle avait une scène dans le film de Brady Corbet, L’Enfance d’un chef, dans lequel je jouais également. J’étais présente le jour de cette scène, et en la voyant, je me suis tout simplement effondrée. 

Et dernièrement, j’ai eu la chance de jouer aux côtés de François Damiens dans le film La Graine, et son jeu d’acteur est fascinant. Il improvisait beaucoup tout en restant totalement ancré dans son personnage, avec une justesse assez incroyable. J’avais rarement vu un acteur proposer autant de choses tout en gardant cette justesse dans le jeu. 

© François Berthier

Le magazine Acumen met en lumière de jeunes talents émergents dans le milieu du design, de l’architecture, de l’art, de la photographie… Souhaitez-vous nous faire découvrir un talent ? 

J’aurais pu vous proposer le designer Misha Kahn, c’est un ami et j’adore son univers. J’ai vu un article sur lui dans votre magazine (Acumen n° 32). Et récemment, j’ai acheté un chandelier en métal du studio de design Barbier Bouvet que je ne connaissais absolument pas. Le nom m’a tout d’abord intrigué et j’ai beaucoup aimé leurs pièces. 

Vos projets à venir ?

Le film d’Olivier Py, Le Molière imaginaire, avec Laurent Lafitte, entre autres. 

Le tournage du nouveau film de Brady Corbet, The Brutalist.

Et le film de Martin Provost, Bonnard, Pierre et Marthe. 

Merci, chère Stacy !

Ce fut un réel plaisir…

Mélissa Burckel

PHOTOGRAPHE : FRANÇOIS BERTHIER

ASSISTANT : NICOLAS SUK HOON

D.A : MÉLISSA BURCKEL & FRANCOIS BERTHIER

STYLISME : STACY MARTIN EST HABILLÉE EN LOUIS VUITTON PAR CLEMENT LOMELLINI MAQUILLAGE : ANGLOMA AVEC LES PRODUITS HUDA BEAUTY

COIFFURE : YOANN FERNANDEZ

AGENCE CONTACT : NOUR ABDELNOUR

MERCI À L’HÔTEL MONSIEUR GEORGE PARIS 8