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DORA JERIDI, L’HARMONIE DU CHAOS

Lauréate de la bourse Révélations Emerige 2022 tout juste sortie des Beaux-Arts de Paris où, après des études littéraires et deux masters d’histoire, elle suivit l’enseignement de Djamel Tatah, Dora Jeridi méritait bien l’exposition que lui consacre la galerie Mor Charpentier: après sa participation à l’exposition « Figurations. Un autre art d’aujourd’hui » l’été dernier (voir Acumen no 352), on y redécouvrait toute la fouge d’un pinceau aussi vibrant qu’inspiré.

« Je pense que l’art est une intensification du réel », nous disait la lauréate (née en 1988) lors de l’inauguration de l’exposition « Figurations » en mai dernier. Dans l’une des deux œuvres qu’elle y montrait, La Moisson vénéneuse, on voyait une jeune femme lui ressemblant, avachie sur une chaise, au côté d’un cheval mort entouré de trois flaques de couleur, verte, bleue et rouge, ressortant sur la toile laissée brute. Aujourd’hui, ces flaques sont devenues des explosions, réduites parfois à des biffures ou des coulures, à des traces, ou s’étalant sur toute la surface de la toile incendiée de jaunes et de rouges incandescents. Après les roses criards et les jaunes stridents qui venaient « trouer » ses premières peintures, voici l’embrasement. L’embrasement et le jaillissement. Un flot d’images et de signes énigmatiques, chaos de lignes et de taches, de trognes et de bribes de corps, de cris et de grimaces : ruines, visions, réminiscences ?…

Que doit-on voir dans ces tableaux saturés, comme tagués, mêlant souvent peinture à l’huile et fusain, parfois rehaussés à la bombe aérosol ? Des cauchemars, comme sembleraient le suggérer certains titres : Mouth Raid, Death Star, Dangerous Dusk, ou encore Poney Club (Guernica for Kids) ?…

Un chaos tragi-comique

Dans Inner Bang, un visage rouge hurlant jaillit, de même qu’une main, d’une masse informe jaune d’or. Un visage et une main qui réapparaissent assortis d’un corps, cette fois-ci, vêtu d’une robe-armure dans Dangerous Dusk II, tandis que dans Concrete Anger, ils sont très succinctement ébauchés et coloriés : issu d’une déformation grotesque, « le cri devient grimace 1 »… On sent ici que se joue un drame sans pouvoir en déterminer ni l’origine ni l’objet. « La peinture me permet d’exprimer une violence latente. Certains événements autobiographiques sont indicibles et conduisent à la nécessité de peindre », confiait l’artiste à Guy Boyer dans Connaissance des arts en 2022. « Dans mes peintures, il y a du sens mais un sens qui est illisible, incompréhensible. Il y a une narrativité mais qui reste énigmatique », précisait-elle tout en expliquant donner la primeur aux sensations. Des sensations et une « atmosphère de crise » qui apparaissent décuplées dans ses dernières œuvres, comme s’il y avait une urgence à peindre la « réelle menace actuelle 2 ».

« surface d’impact »

Pour Dora Jeridi, en effet, la peinture est une « surface d’impact ». Et « il faut que ça pulse 3 ». Comme dans un morceau de musique, il faut que le tempo et les écritures varient : mêlant la sourde matité du dessin au fusain à la brillance et à la densité de la peinture à l’huile, des parties « très graphiques », très dessinées à « des touches plus abstraites ou jetées », elle cherche à créer « différents plans » et différents rythmes pour briser la surface plane et inerte de la toile, lui impulser « de la vitesse, de la vitalité » et du « mordant ». Multipliant les citations picturales (ici, Le Bœuf écorché de Rembrandt, là, le cheval de Guernica…) et cinématographiques, elle mélange avec insolence les registres, superposant au registre tragique le registre grotesque et « cartoonesque » de certaines figures ou certains détails.

C’est ainsi qu’au moyen d’une dégringolade de jambes et de pieds tout droit sortis des comics, elle transforme Guernica en « scène de bataille bouffonne » sans toutefois en amoindrir la charge agressive et la « dynamique explosive ». 

STÉPHANIE DULOUT

  1. « Figurations. Un autre art d’aujourd’hui », Maison Caillebotte à Yerres, mai-octobre 2023
  2. Propos recueillis le 19 décembre 2023.

« Concrete Fear – Dora Jeridi »

Galerie Mor Charpentier

61, rue de Bretagne, Paris 3e 

Jusqu’au 6 janvier 2024

mor-charpentier.com 

Exposition à venir à la galerie Perrotin de New York en janvier 2025

perrotin.com

France – Paris

États-Unis – New York