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HARRY GRUYAERT

France – Paris

Jusqu’au 24 septembre 2023, le photographe belge Harry Gruyaert présente son exposition « La Part des choses » au BAL

Harry Gruyaert BELGIUM. Boom. Waterloo Battle Commemoration. 1988

Chantre de la couleur Ou L’ordinaire magnifié par la couleur

« Il n’y a pas d’idée, jamais de mise en scène. Je capte ce que je vois, je cherche l’image unique, la plus forte », nous disait Harry Gruyaert lors de l’ouverture de son exposition« La Part des choses » au BAL en juin dernier. De fait, tout l’œuvre du photographe belge (né à Anvers en 1941) est composé d’images chocs. Des images instantanées à la recherche desquelles il a pu passer des journées entières, nous avouait ce grand voyageur qui expose ici pour la première fois 80 tirages réalisés entre 1974 et 1996 selon le procédé Cibachrome – un procédé inventé en 1933 par un chimiste hongrois, Bela Gaspar, et commercialisé en 1963, permettant d’obtenir un tirage à partir d’une diapositive (procédé dit positif-positif) par destruction des pigments incorporés aux couches sensibles du papier exposé puis développé. Se distinguant par la netteté de l’image, l’intensité des couleurs et la saturation des aplats, ces rares Cibachromes révèlent toute la puissance de l’œil du photographe et, notamment, son incroyable capacité à rendre les matières, les textures ou encore les ombres, son art de donner à voir les choses et de les magnifier par la couleur.

 

« Se faire voyant, pas témoin »

Converti à la couleur dès son départ à New York au début des années 1970, c’est en effet par elle que Harry Gruyaert parvient à rendre extraordinaire l’ordinaire. Loin de sa Belgique natale, trop étriquée à son goût, mais dont il saura parfaitement rendre le côté « grinçant » et « assez ubuesque » dans une série au parfum surréaliste, New York sera pour lui le lieu de plusieurs révélations : il y découvre non seulement les maîtres américains de la photographie couleur (Joel Meyerowitz, William Eggleston ou Stephen Shore), mais aussi le pop art qui l’incite « à regarder autrement la banalité, à accepter une sorte de laideur du monde et à en faire quelque chose ». Ce sont aussi ses amitiés avec la nouvelle scène new-yorkaise qui, selon Diane Dufour, commissaire de l’exposition, conforteront ce que Le Désert rouge d’Antonioni, « vu mille fois », avait déjà instillé en lui : « le besoid’arpenter le monde […] non pour le désigner ou nous en informer mais pour le sculpter, le modeler […]. Se faire voyant, pas témoin. »

« L’esprit du lieu » (« the sense of place »)

« Je me jette dans les choses pour éprouver ce mystère, cette alchimie », explique lui-même le photographe, rejetant pourtant toute appréhension descriptive de la réalité. C’est là d’ailleurs l’un des paradoxes de sa photographie qui, bien que dénuée de toute mise en scène, possède un caractère fictionnel très fort, qu’il s’agisse de la série Moscou ou de la série égyptienne composée de nocturnes proprement électrisants… Maître du chaos (tout participe à la composition, parfois très éclatée, à la limite du cadre…), Harry Gruyaert ne cherche pas qu’à dépeindre, à l’instar de ses grands maîtres Bergman ou Antonioni, la « solitude dans le paysage urbain », mais aussi, et avant tout, la palette de chaque lieu, ce qu’il appelle « the sense of place », l’esprit du lieu. Ainsi du vert fluo de la devanture embuée d’une laverie d’Anvers, du rouge des rideaux et de la table du Trans-Europ-Express où gît un homme endormi, ou du bleu, du jaune et du rose guimauve d’un trottoir « haut en couleur » du comté de Kerry en Irlande…

« Des trajectoires isolées, des espaces disjoints, des corps en périphérie, tout concourt dans ses images à rendre l’absurdité du monde, le collage surréaliste de la vie et ses morceaux détachés » note justement Diane Dufour. Une analyse à laquelle font écho les propres mots du photographe voyageur : « La réalité ressemble à un collage de Picasso dont les éléments n’étaient pas faits pour être mis ensemble, mais qui, soudain juxtaposés, signifient et disent quelque chose qui était insaisissable avant. »

STÉPHANIE DULOUT

« Harry Gruyaert – La Part des choses »
Le BAL
6, impasse de la Défense, Paris 18e
Jusqu’au 24 septembre 2023
le-bal.fr