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À PLEINS POUMONS

Il fallait s’appeler Marcel Duchamp pour oser mettre l’Air de Paris dans une ampoule et l’offrir en guise de ready made à son riche collectionneur… Plus d’un siècle plus tard (c’était en 1919), c’est la fondation Bullukian qui nous invite à respirer « À pleins poumons ». 

Trajectory Five, 2022
© Miguel Arzabe
« Mirage », 2022-2023
© Nicolas Dhervillers

« Aussi vital qu’insaisissable, le souffle est une boucle qui traverse notre corps, l’imprègne, s’en extirpe dans un élan perpétuel qui nous relie au monde. C’est un miroir qui trahit en permanence notre état et nos émotions : on peut se sentir asphyxié […] avoir le souffle coupé […] et s’éteindre à tout moment dans le murmure d’un dernier soupir. Il est cette respiration qui s’accélère ou ralentit au rythme de nos actions, cet échange de flux qui nous relie au monde extérieur et donne forme à l’immatériel […] » – le matériau premier de tout l’œuvre de Duchamp concentré dans sa fiole… 

Le souffle des objets
© Deborah Fischer

C’est à travers la création de 12 artistes abordant la question du souffle que Fanny Robin nous « invite à une déambulation parmi des zones d’ombres, sorte d’espaces vulnérables et invisibles ».

Plus écologique mais non moins poétique que l’ampoule Air de Paris de Duchamp, et plus immatérielle encore : la bulle iridescente flottant en apesanteur dans le paysage de Miguel Arzabe. Écologique et poétique aussi, la pratique de Julie Legrand hybridant des éléments de récupération, matières végétales, minérales, animales ou industrielles, et des formes en verre soufflé pour dire les « rapports complexes de force et de fragilité ». C’est aussi au « presque rien » que Deborah Fischer consacre sa pratique d’inclusion de morceaux de brique et autres objets de rebut récoltés dans la rue, dans des coussinets de verre semblant enfermer bien plus que de l’air et donnant à percevoir Le Souffle des objets

Quant à Jean-Baptiste Caron, c’est l’empreinte des courants d’air qu’il tente de prendre dans la cire et le béton, tandis qu’il nous prend subrepticement notre souffle au détour des miroirs d’une installation immersive…

X m3 d’air, marbre blanc
© JB Caron

Avec Nicolas Dhervillers, le souffle se fait brume dans ses paysages recomposés mêlant fragments de photographies anciennes retouchées et pastel : noyés dans des nappes de nuages suspectes, ils nous perdent dans une temporalité indéfinie, un monde flottant comme un souffle en suspens.

Julie Legrand – Ce qu’en disent les objets – Prise éléctrique et verre soufflé à la canne par Julie Legrand 2019
© Paul Louis

L’une des œuvres les plus bouleversantes, montrée aussi en ce moment à la Bourse de Commerce 1, est le film de Jonathas de Andrade dévoilant un étrange rituel d’étreinte mortelle entre un homme et un poisson, pratiqué par des pêcheurs d’un village côtier du nord-est du Brésil. 

  1. Dans l’exposition « Avant l’orage » (voir Acumen no 33)

« À PLEINS POUMONS » – FONDATION BULLUKIAN

26, Place Bellecour, Lyon 2e

France

Jusqu’au 15 juillet

http://bullikian.com

www.miguelarzabe.net 

www.julielegrand.com 

www.deborahfischerscarlett.com 

www.jeanbaptistecaron.com 

www.nicolasdhervillers.com

www.cargocollective.com/jonathasdeandrade-eng 

Stéphanie Dulout