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HISTOIRES VRAIES

Le réel n’existerait-il pas en dehors de ses narrations ? À l’heure de l’invasion de notre espace vital par les vidéos et les séries, les réels et les stories, les fake news et le scrolling, le storytelling serait-il devenu le cœur battant de nos vies et de l’actualité télévisuelle mondiale, alors que le métavers nous prépare à bientôt devenir des avatars ?

© Aurélie Ferruel et Florentine Guédon
© Farès Hadj Sadokbras

Tel est le présupposé de l’exposition intitulée, non sans insolence, « Histoires vraies », déployée au MAC VAL (Musée d’art contemporain du Val-de-Marne). Mettant en scène des fictions qui prennent les formes les plus diverses (de la vidéo au dessin en passant par la performance ou la tapisserie), les quelque 40 artistes réunis investissent « cet espace flottant entre l’art et la vie », le vrai et le faux, pour y faire surgir de nouvelles « réalités » auxquelles on pourra, ou non, adhérer…

©Etienne Charry
© Kenny Dunkan

Nombre d’artistes jouant de ces passages poreux entre art et autobiographie, réel et fiction, nous livrent des récits intimistes, voire impudiques qui, si les stratégies narratives mises en œuvre parviennent à « fictionnaliser » le réel, à inoculer au réel la magie de la fiction, déclenchent le processus d’identification qui fera du spectateur-voyeur un penseur… Car, comme l’explique Frank Lamy, commissaire de l’exposition, la fiction permet d’« interroger les faits », de mettre en question, de « déconstruire, faire apparaître » et, citant l’un de ses contributeurs, « chaque regardeur est invité à composer sa propre narration, entre cauchemar et rêve » face à ces « micro-récits » aux multiples niveaux de lecture.

© Mehryl Levisse
© Sebastien Loghman

Du côté dystopique, le duo Aletheia interroge le pouvoir des mots des GAFAM, les monopoles numériques assénant leur « parole de vérité » sur Internet. Dans le registre absurde, Esther Ferrer, qui transformait des récits de vie en cacophonie lors d’une performance activée à l’occasion de la Nuit européenne des musées en 2014, préfère annihiler le langage. Absurdes aussi, les collages d’images en récits emboîtés signés Hippolyte Hentgen, un autre duo d’artistes. 

© SMITH
© Vincent Volkart

Faisant rejouer à des groupes sociaux des situations vécues, Alice Brygo fait dériver le film documentaire vers le conte onirique, de même qu’Anaïs-Tohé Commaret qui s’ingénie à confondre histoires rapportées, souvenirs et réalité vécue. À la croisée du mythe et du récit d’exploration, Aurélien Mauplot se plait lui aussi à entremêler réalité et fiction dans ses compositions en trompe-l’œil, nous faisant douter de la représentation. Mettant en scène des corps hétérogènes, fragmentés, disproportionnés, Laura Bottereau & Marine Fiquet nous font douter, quant à elles, de notre corporéité, de l’intégrité de notre identité, de même que les créatures et autres hybridations de Kenny Dunkan cherchant à « générer [sa] propre image et non celle qu’on [lui] a assignée »…

© Virginie Barré

« L’œuvre n’est pas un témoignage sur une réalité extérieure, mais elle est elle-même sa propre réalité », écrivait Alain Robbe-Grillet en 1963 dans son essai Pour un nouveau roman, ajoutant que « … la fonction de l’art n’est jamais d’illustrer une vérité […] mais de mettre au monde des interrogations… ».

Stéphanie Dulout

« Histoires vraies » – MAC VAL
Place de la Libération, Vitry-sur-Seine
Jusqu’au 17 septembre

macval.fr