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Basak Bugay & Burçin Basar

Prison ou maison de poupée ? Caveau ou cachot ? Cabane ou cellule ? Les étranges habitacles de béton sur pilotis créés par Basak Bugay ont provoqué un curieux manège sur le stand de la Zilberman Gallery lors de la 15e Contemporary Istanbul art fair en juin dernier : il y avait les visiteurs pressés qui passaient devant sans même s’apercevoir qu’ils étaient habités, ceux qui, voyant ce qu’ils recelaient, repartaient quelque peu effrayés, voire dégoûtés, ou encore ceux qui, fascinés, y revenaient plusieurs fois et tournaient autour avant de regarder à nouveau à travers les petites ouvertures…

À mi-chemin entre la tour, la cage et la boîte-reliquaire, ces cocons de béton attirent, en effet, irrépressiblement les regards voyeurs qui, plongeant en leur sein comme on regarde à travers le judas d’une porte, y découvrent de minuscules personnages reposant à moitié ensevelis sous des linges, solitaires en leur chambrée. Violant leur intimité, l’observateur se prend à les imaginer dormant tout en se demandant s’ils ne sont pas morts : modelées dans la terre, ces figurines évoquant les poupées de cire et de chiffon d’antan ressemblent aussi à des gisants et la cellule où elles reposent pourrait être un sarcophage ou une chambre mortuaire, et les linges qui les recouvrent, des linceuls…

Voilà tout le talent de l’artiste stambouliote qui, en nous faisant découvrir des éléments cachés, nous laisse en inventer les secrets et, dans le champ clos des espaces fictionnels mis en scène, nous fait entrevoir tous les drames de l’intimité, tout le champ des possibles contenus dans la blancheur suspecte de ces cellules capitonnées et l’effroyable silence pesant sur les corps recroquevillés qui y reposent.

Effroyable mise en abyme des non-dits, comme l’attestent l’un des titres les plus éloquents de ses installations : Plus doux que le miel, plus lourd que la hache ou encore les fantoches de tissu démembrés,  disloqués, couturés et rapiécés suspendus à des fils accrochés çà et là. Conte horrifique ou féérie ? L’histoire ne nous est point contée, mais nous voici pris au piège de notre imagination.

Ce sont aussi dans des espaces imaginaires que nous transportent les étranges peintures embryonnaires de Burçin Basar, autre artiste stambouliote. Des espaces flottants, tout aussi poétiques et non moins traumatiques où l’on voit errer, fusionner, ondoyer et se dissoudre des formes végétales et des organismes indistincts évoquant les paysages mouvants des mares et des marécages.

Dans ces images floues contaminant tout l’espace de la toile en un all-over nébuleux et vaseux, c’est en fait la métamorphose de l’image dans une perspective post-numérique que l’artiste tente de façonner.

Mêlant dans une sorte de maelström pigmentaire l’image virtuelle (issue de photographies numériques) et l’image réelle (picturale), consistant par un jeu de manipulations et de recouvrement à ensevelir sous la matière l’image immatérielle… De l’apparition à la disparition, une nouvelle fusion/concrétion annonçant la fin de l’opposition séculaire entre idéal et réalité ? Une troublante et prometteuse alternative.

Du 16 décembre 2021 au 12 février 2022

www.zilbermangallery.com

Burçin Basar