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Léo Walk : « Je pense que la danse continuera de sauver des vies »

C’est au café Goguette à Paris que nous avons rencontré Léo Walk. À 26 ans, « l’enfant rêveur » oscille entre sa carrière de danseur-chorégraphe, sa marque de vêtement Walk in Paris et ses différents contrats en tant que mannequin pour de belles maisons. Malgré son rythme de vie effréné entre prestations, entraînements et créations, Léo a pris le temps de se livrer sans concession dans notre numéro de décembre, à l’occasion de la dernière représentation sur scène de sa compagnie La Marche bleue.

Acumen : Vous baignez dans le milieu de la danse depuis tout petit. Pouvez-vous m’en dire un peu plus ?

Léo Walk  : J’ai commencé la danse à 7 ans avec la break dance, et après, petit à petit, je me suis orienté vers d’autres danses. Mais on va dire que ma base, c’est la break. De 9 à 15 ans, je n’ai fait que de la battle, puis je me suis essayé à d’autres styles de danse comme le lock, la house ou la pop…bref, toutes les disciplines que l’on retrouve dans le hip-hop. Je me suis nourri de tout ça pour alimenter mon style de danse. 

Acumen : Depuis vos débuts avec Christine and the Queens, vous avez pris l’habitude d’être sur la route et  de vous produire sur scène. Qu’est-ce qui vous stimule dans ce rythme de vie ? 

Léo Walk : Peut-être le fait d’être en création perpétuelle, d’avoir soif de créer, et ce même quand tu n’as plus l’envie alors que c’est pourtant ton travail. Ce rythme fou te force à puiser en toi à des moments où tu n’avais pas forcément envie et te fait travailler de plusieurs manières.

Acumen : D’ailleurs, comment une chorégraphie prend-elle vie ?

Léo Walk  : Ces derniers temps, je me nourris surtout de ce qui m’entoure, de musiques que j’écoute et des émotions que je ressens. Tout est question d’émotion dans mon processus créatif. J’ai tout de même un gros truc avec la mélancolie et la tristesse. Je puise beaucoup dans la tristesse. Dans certaines de mes chorégraphies plus joyeuses, il y a toujours une part de profondeur liée à la mélancolie…

A : Pourquoi ? 

Léo Walk : C’est ce qui me permet d’être équilibré. J’ai en moi 50 % de bonheur et 50 % de tristesse, et ces 50 % de tristesse, je les accepte grâce à la danse.

A : Pouvez-vous me parler de votre compagnie La Marche bleue ?

Léo Walk : Le projet est né durant des nuits blanches où j’étais un peu tourmenté. Alors j’ai commencé à écrire. Je sentais qu’il fallait que je pose ça quelque part, et l’écriture me l’a permis. En général, ça commence par des pensées… J’écoute une musique et je pars dans mes pensées. Ce sont des images assez cinématographiques, puis des mouvements arrivent. Je travaille beaucoup dans les glissades, dans la douceur, et j’essaie de les transformer en « danse ».

A : Vous faites référence à des images cinématographiques. Quelle scène de danse dans un film, un clip ou un spectacle vous a marqué, et pourquoi ? 

Léo Walk :Billy Eliot : les moments où il commence à craquer et à danser dans la rue alors qu’il avait une vie de merde. C’était l’une des premières fois où j’ai réellement compris ce qu’il ressentait. C’était comme une explosion pour lui, c’était juste vital.

Léo Walk

A : Vous dites souvent qu’il faut garder son âme d’enfant ; d’ailleurs, dans votre spectacle, on retrouve la phrase « ne perdez pas votre cœur d’enfant ». Quel rapport entretenez-vous avec l’enfance ? 

Léo Walk : C’est ce qui me réconforte le plus, ça me rassure… parce qu’en grandissant, tu commences à bosser tout le temps et tu planes autour d’un monde, celui de la mode et de l’art contemporain, qui est un peu fake. Alors que là où j’ai grandi, en banlieue, les gens étaient bruts et ils le sont encore. Quand je revois les mecs, ils ne changent pas, ils sont naturels et c’est ce que je trouve beau. Alors qu’à Paris, je trouve que les gens ont beaucoup de masques. Ils sont sans cesse en représentation et ils s’y perdent ! Je trouve ça assez triste parce que je vois qu’ils ne sont pas eux-mêmes. Et ça doit être douloureux à vivre. Moi-même, j’ai été confronté à ce sentiment. Mais j’ai eu la chance de me manger des tartes par des potes au bon moment. (rires) Pour moi, ce qui peut te ramener à l’état brut, c’est forcément l’enfance et l’adolescence.

A : Et vous, quel était votre rêve d’enfant ? 

Léo Walk : Je voulais chercher des trésors, chercher des pierres précieuses. Je voulais devenir archéologue ! J’ai un rapport aux pierres, à leurs couleurs. Je crois que c’est ça qui m’inspire dans la mode. Les pierres m’inspirent beaucoup dans mes collections pour Walk in Paris.   

A : Et aujourd’hui, comment gérez-vous votre célébrité́ ? 

Léo Walk : J’avoue que je ne le vis pas très bien, j’ai un peu de mal. Quand les gens viennent me parler, ça m’oblige justement à devoir porter un masque. Parce que t’es obligé de te protéger, car même si ça part d’une bonne intention, tu as l’impression qu’on t’aspire en continu et ça t’enlève énormément de tes énergies vitales. C’est pour ça que je passe pas mal de temps en banlieue aussi, parce que là-bas, il n’y a pas ce truc-là. Il y a des mecs que je n’ai pas vus depuis cinq ans, et ils sont là, ils crient mon nom de famille dans la rue et ils me font coucou, et voilà, c’est chill […]

A : Et sur les réseaux sociaux, comment gérez-vous vos relations avec votre communauté ? 

Léo Walk : Je ne partage rien du tout ! Les gens m’insultent tout le temps, ils me disent : « Poste des vidéos comme avant ! » Il y a eu ces moments avant, où tu es là… t’as vingt ans et tu peux tous les jours te filmer dans ton salon… Mais aujourd’hui, j’ai plus envie de préserver ça, et je ressens le besoin de me préserver un petit peu. J’ai vu que je pouvais tomber dans ce jeu de vouloir tout montrer. Mais j’ai envie de partir de cette terre avec des souvenirs de vie forts, que je vis et que je m’offre à moi […] Mais c’est vrai que j’ai du mal à trouver cet entre-deux […]

A : La tournée touche à sa fin. Comment c’était ? 

L.W : Ne me dites pas ça, vous allez me tuer ! (rires) Parce que cette Première Ride a existé dans nos cœurs, dans nos pensées… Mais on va dire qu’elle n’a pas assez tourné. Elle n’a pas assez tourné comme il fallait. Il y a tellement de gens qui veulent la voir à Paris et on a trois dates parisiennes complètes. C’est cuit !  […] On a fait deux Olympia, deux Trianon, un Théâtre du Châtelet, mais c’est juste qu’il n’y a plus d’autres dates. Après ça, j’écris une nouvelle pièce. J’ai hâte !

A : Il y aura donc une seconde ride ? 

L.W : Pas de seconde ride. Ce sera autre chose, une nouvelle pièce, elle va s’appeler Maison d’en face.

Léo Walk

A : Est-ce qu’un moment en particulier vous a marqué pendant la tournée ? 

L.W : Le dernier moment à l’Olympia : on ne pouvait pas jouer, car on n’avait pas les droits des Daft Punk. J’étais avec deux micros de télé sur moi, il y avait 30 personnes sur le plateau : mes équipes pour tourner, mes danseurs et moi qui leur disais qu’on n’allait pas pouvoir jouer, car les Daft Punk demandaient une grosse somme d’argent. Alors je suis sorti de scène, j’ai appelé des contacts, ça tournait en rond, je ne trouvais pas et je rappelle Pedro Winter [le manager des Daft Punk, ndlr]. Il me rappelle cinq minutes après et me dit : « J’ai eu les Daft, c’est bon, ils te donnent les droits. » Et là, je remonte sur scène et je dis : « Les gars, c’est bon ! On joue ce soir ! »  Et ça, c’était une espèce de dose d’adrénaline, car je savais que tout reposait sur mes épaules, mes producteurs ne pouvaient rien faire, c’était mes contacts, et moi, tout seul avec mon téléphone qui pouvions gérer. J’étais dans un stress pas possible !

A : Y a-t-il un lien entre vos collections pour votre marque Walk in Paris et vos chorégraphies ? 

L.W : Il y a une grande relation, oui ! Il y a beaucoup de danseurs qui m’inspirent et qui n’ont pas du tout des corps de mannequin. Après, j’ai un gros truc avec la mode ; je trouve que visuellement, c’est beau, ça vient raconter une histoire. Je trouve la mode graphique, et ça me plaît, parfois ça m’apaise dans les formes, mais c’est vraiment le travail visuel que je trouve intéressant. Mais à la limite, la forme, c’est facile. Je comprends très vite les codes que les designers utilisent. Je regarde un designer et je me dis « Ouais, ok, j’ai compris ce qu’il utilisait », et je trouve que la plupart des designers aujourd’hui – je préfère ne pas en citer pour ne pas me mettre des gens à dos – c’est archi simple ce qu’ils font. Ils maîtrisent la forme. Dernièrement, j’ai regardé un documentaire sur Martin Margiela et je trouve qu’il y avait quand même du fond, et le fond, je le vois plus beaucoup en général. Il n’y a plus aucune histoire dans la mode. Les gens ne prennent plus de risques et même les jeunes designers que je vois autour de moi, qui sont en train de monter, sont dans la superficialité, et c’est trop bête ! lIs ont l’argent pour pouvoir créer des choses qui ont du fond et ils ne le font pas, et je vois ce qu’ils pourraient apporter. Après, je vous avoue que la mode, je n’y consacrerai pas tout mon temps. Le problème, c’est qu’en ce moment, il faudrait que je sois six personnes pour bosser en continu sur ma marque, et je reconnais que je délègue beaucoup à mon associé [Gary Walk in Paris, ndlr]. Je devrais peut-être y accorder plus de temps, mais je n’y arrive pas, je crois que ce n’est pas ce qui me fait le plus vibrer.    

A : Et quel fond aimeriez-vous apporter à la mode ?   

L.W : Je ne sais pas […] parce que je vois les codes que je pourrais utiliser pour taper juste et que ça marche. Mais j’ai envie de me remplir de choses qui changent […] J’ai plus envie de voir les messages que les gens m’envoient. Ce que je reçois, c’est fou ! Je me dis que je change réellement des vies à travers mes petites histoires, à travers ce que j’ai pu transmettre […] Mes dernières soirées [rires], on va me prendre pour un fou, mais j’écoutais Les Parapluies de Cherbourg sur une boîte à musique et on lisait des livres de Claude Ponti, des livres pour enfants qui m’avaient beaucoup inspiré quand j’étais petit. En écoutant ça, mon imaginaire part et je vois des petites choses que je retranscris avec mes danseurs […]

A : Toujours l’enfance, donc ?

L.W : Oui, j’ai peur de ne tourner qu’autour de ça toute ma vie… Je ne sais pas… J’ai travaillé avec les enfants, j’étais animateur avant, pendant deux à trois ans. Et par exemple, le projet qui me fait le plus de bien en ce moment est celui qui m’a amené à partir en Afrique avec mon association Fondament’All [association basée à Champigny-sur-Marne qui propose des cours de break dance et de nombreuses missions sociales, culturelles et solidaires, ndlr]. Je suis parti avec les mecs avec lesquels j’ai grandi, qui viennent d’un village au Bénin. Là-bas, j’ai rencontré un enfant qui m’a énormément touché. Il vivait dans des conditions que je ne préfère pas expliquer, c’est tellement hardcore. Je ne suis pas arrivé en ville, je suis vraiment arrivé dans les terres et j’ai vu que c’était la danse qui pouvait les sauver. Alors, on leur a donné ce qu’on a pu pendant dix jours, et je suis reparti. Et ce petit Bernard [le nom du petit garçon que Léo a rencontré, ndlr] s’est mis à la danse et il m’envoyait des vidéos de lui tout le temps. Puis, on m’a dit « Mais tu ne veux pas parrainer cet enfant et t’en occuper ? »  […] Alors, depuis, il danse tous les jours, et oui, je vais parrainer cet enfant et je vais repartir là-bas. Je pense que la danse continuera de sauver des vies.

Léo Walk

A : Chaque hiver, Walk in Paris propose un pop-up de noël, et cette année, il se tiendra dans la Galerie Joseph de la rue Charlot du 16 au 19 décembre. Pouvez-vous m’en parler un petit peu ? 

L.W : On est assez last minute dans Walk. C’est d’ailleurs ce que je trouve cool, mais bon, maintenant, on commence à avoir des revendeurs qui nous demandent de suivre un peu le calendrier de la Fashion Week […] Donc freestyle, on verra ! Faut venir, ça va être cool ! 

A : Et le 20 décembre, juste après la fermeture du pop-up, vous monterez sur scène avec votre troupe pour la dernière prestation de La Marche bleue. Comment vous sentez-vous ?

L.W : Le Théâtre du Châtelet, c’est fou ! Il n’y a aucun chorégraphe de 26 ans de toute l’histoire qui y a présenté quelque chose. La scène est énorme, et c’est tellement une pièce enfantine, elle est innocente, elle a des défauts que je vois et que j’assume. Et aujourd’hui, on m’attend au tournant parce que j’ai un nom […] Et il y a peut-être mille défauts dans ma pièce, mais au moins, elle est vraie. Au moins, on est brut, mes danseurs, ils sont bruts, et j’ai dit ce que j’avais à dire, j’ai dit ce que j’avais à dire à l’époque, et c’est retranscrit, donc ok, on va faire ça, ça va être une kermesse, une pièce d’enfant au Théâtre du Châtelet, et je ne sais pas comment ça va être pris… Je me chie dessus !  [rires]

A : Mais êtes-vous triste que ça se finisse ?

L.W : Non, c’est un nouveau cycle ! J’ai hâte de commencer ce nouveau cycle, j’ai beaucoup de choses à dire, et ayant beaucoup évolué, je pense que ma deuxième pièce sera bien aussi. Ça bouillonne tous les matins et toutes les nuits, je suis un enfant tourmenté, donc il y a des choses qui vont se passer.

A : Comme d’autres projets ? 

L.W : À long terme, j’aimerais bien avoir deux à trois pièces qui tournent. En ce moment, j’essaie de comprendre ce qui se passe pour moi déjà, car je ne comprends pas ! Je suis avec des producteurs, ça part dans tous les sens, j’ai la possibilité de tout faire, et il faut que je fasse les bons choix. Car ces dernières années, je suis parti un peu dans tous les sens : je faisais de la mode, je faisais ci, je faisais ça… Je viens d’une famille où je n’ai pas eu d’argent, et aujourd’hui, j’ai réussi à avoir une sécurité financière, ce qui est quand même très important dans ce monde, et ce qui fait qu’aujourd’hui, je peux avoir la chance et l’opportunité d’avoir le choix de pouvoir dire oui ou non. De pouvoir faire ce que j’ai envie de faire. Alors, j’ai envie d’aller vers ce que j’ai envie de faire, c’est ça mon projet. 

En off, Léo nous a confié qu’il travaillait sur un projet de film-documentaire avec Jean-François Fourtou. Ce film racontera le quotidien de leur groupe et s’appellera La Gigotance. Un nouveau projet qu’il nous tarde de découvrir.

« Première Ride » par La Marche bleue – Théâtre du Châtelet
2, rue Édouard Colonne, 75001 Paris
Le 20 décembre
https://www.compagnielamarchebleue.com/fr

Pop-up de Noël Walk in Paris – Galerie Joseph
66, rue Charlot, 75003 Paris
Du 16 au 19 décembre
https://www.walkinparis.fr/fr

 

Par Cheynnes Tlili