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Duy Anh Nhan Duc : La beauté fragile

Après la « grotte contemporaine » charbonneuse de Lee Bae en 2015, la monumentale arborescence de bambou de Shouchiku Tanabe en 2016, l’ensorcelante forêt de bouleaux de Min Jung-Yeon en 2019 ou le jardin zen de Daniel Arsham l’an dernier, c’est un paysage céleste d’aigrettes de pissenlit tout de poésie et de légèreté que Duy Anh Nhan Duc a déployé sous le dôme du musée Guimet. Un paysage immersif à parcourir comme un voyage initiatique. 

« Mon travail puise son essence dans la poésie du monde végétal. Chacune de mes créations émane du plaisir que j’éprouve à passer du temps dans la nature : en forêt, dans des prairies, dans une friche, ou même en ville, au milieu d’un rond-point. L’émerveillement s’offre à tous ceux qui le cherchent. J’aime me laisser guider par le jeu de la rencontre. Cela peut être devant l’agencement gracile des pétales d’une fleur, devant la puissance d’une graine, ou à la vue de l’architecture d’un système racinaire. Fruits d’inlassables cueillettes, les créations que j’imagine mettent en lumière des végétaux connus de tous, mais que nous ne regardons plus. Trèfle, salsifis, lichen, blé, érable – sans oublier le pissenlit – forment ma palette. Je découvre, j’observe, je glane, et, petit à petit, mon projet se dessine. »

Fruit d’inlassables cueillettes et de longues et méticuleuses séances de triage, séchage, collage et montage, les installations végétales de l’artiste franco-vietnamien (né en 1983 à Hô Chi Minh-Ville et arrivé en France à l’âge de dix ans) sont issues d’une observation lente de la nature et de ses plus humbles végétaux fleurissant librement sur les ronds-points, les friches ou les bordures du périphérique… Des salsifis, des chardons, des pissenlits, des carottes sauvages, des pavots… amoureusement cueillis, séchés puis disséminés ou scellés dans des parterres et des tableaux ou des sculptures volatiles.

D’un Mur métaphysique constitué d’un double grillage de fines chaînes de métal retenant en leurs rets des aigrettes de pissenlit dessinant le cercle de la renaissance aux Racines du ciel germées dans une calebasse recyclée en vase sacré ou cosmique, en passant par Le Parloir des souhaits, c’est un véritable voyage initiatique que nous invite à parcourir Duy Anh Nhan Duc en un espace-temps ultra-condensé propre à se dilater au gré des rêveries et des méditations.

Face au mur du déni, il nous invite à prendre conscience de l’urgence qu’il y a à « repenser notre façon de vivre dans un monde qui est en train de s’effondrer et de se dévitaliser » : faux mur tissé d’une multitude de minuscules maillons évoquant, tel un « voile d’aliénation », notre emprisonnement dans l’aveuglement, on le voit, par un subtil jeu d’optique, se transformer en fenêtre… Mur des illusions enchâssant dans sa résille de métal des aigrettes de pissenlit dessinant en un cercle parfait la promesse d’un renouveau : promesses de vie se substituant aux chaînes, ces graines offrent une échappée belle vers un avenir plus « éco-responsable ».

Constitué d’un étonnant assemblage de fenêtres jetées au rebut, Le Parloir des souhaits nous invite aussi, par l’émerveillement, à l’introspection et à l’action, à ressusciter l’innocence de l’enfant qui, soufflant sur les fleurs de pissenlit en faisant un vœu, s’ouvrait « à l’espoir et à l’enchantement ». En tournant la manivelle de cette serre de fortune, mi-cabane, mi-manège, on fait tournoyer des nuées d’aigrettes de pissenlit voletant sous l’action d’une hélice qui évoque la poétique et fructueuse danse des samares, ces fruits à hélice de l’érable ayant fasciné et amusé des générations d’enfants, du temps où la nature était encore un terrain de jeu… Associant les graines à des forces créatrices, de même que les millions de vœux et de promesses appelés à être brassés dans son Parloir, Duy Anh Nhan Duca voulu redonner un horizon à des fenêtres qui n’en avaient plus, et il a conçu sa cabane comme une ode à la renaissance et à la fertilité, unevéritable fabrique de rêves destinée à  raviver les pensées magiques de l’enfance et, avec elles, des engagements responsables.

Plasticien du végétal, poète de l’éphémère, mais artiste engagé, il nous montre par-delà la beauté, la fragilité, en nous ouvrant le champ des possibles…

« Carte blanche à Duy Anh Nhan Duc »
Musée national des arts asiatiques – Guimet
6, place d’Iéna, 75116 Paris
Jusqu’au 7 février 2022
www.guimet.fr

Par Stéphanie Dulout