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LIONEL SABATTÉ, ÉCLOSION

Si tous les artistes sont un peu magiciens, chez certains, le rapport à la matière et à sa transformation relève d’une véritable transmutation. Ainsi, Lionel Sabatté peint par oxydation, sculpte le béton armé et redonne vie à la poussière, aux reliquats de peau et aux arbres morts. Une éclosion de formes et de matières transcendant les frontières de l’art et du trivial, du beau et de l’abject, exposée au musée d’Art moderne et contemporain de Saint-Etienne.

Dix ans après avoir exposé dans la Grande Galerie de l’Évolution du Muséum national d’Histoire naturelle sa Meute de loups composés de poussières sur structure métallique, Lionel Sabatté a été à nouveau invité à œuvrer dans le cadre du parcours FIAC Hors les Murs (l’œuvre est à découvrir aux Tuileries).

Né en 1975, l’artiste, qui travaille entre Paris et Los Angeles, a d’emblée placé la sphère du vivant et les transformations de la matière dues au passage du temps au cœur de son travail et de son questionnement : « Comment une matière dite inanimée devient quelque chose qui peut naître, se reproduire, mourir et disparaître, soit les trois aspects de la définition du vivant en biologie […] où se situe la limite entre la chose que l’on définit comme vivante et celle qui ne l’est pas parce qu’en fait tout se transforme, tout est lié […]. » 1

Emblématiques de cette quête : les arbres morts (bonsaïs, frênes, mûriers, châtaigniers…) refleuris de peaux mortes… Non moins troublant, cet élégant carré blanc clôturant magnifiquement l’exposition, composé d’un semis verni de ces mêmes peaux mortes collectées auprès de podologues et collées méticuleusement, d’abord dans la solitude du confinement puis en collectivité, jusqu’à former un Tissu organique (et social) aussi fascinant que répugnant.

Autre transgression de la représentation participant de cette idée de perpétuelle transformation, de circulation entre les corps et les matières via la dégradation, et de régénération, l’hybridation et la fragmentation apparaissent comme fondamentales dans le vocabulaire plastique de Lionel Sabatté.

Tandis que, dans ses flamboyants polyptyques semblant surgis des entrailles de la Terre, il joue de l’altération par oxydation de plaques métalliques pour inscrire dans ces partitions telluriques « la mutabilité de chaque chose à chaque instant » – de même que la « tache mouvante » faisant éclore, dans une série de dessins, des formes embryonnaires et des figures mutantes –, ses monotypes 2 issus de l’improbable concrétion de vieilles plaques de zinc, de papiers et de rebuts textiles superposés, pressés, imprégnés et rehaussés d’encres, donnent à voir la germination des formes du vivant à travers celle du trait, oscillant entre la forme et l’informe, pour faire apparaître des organismes chimériques.

Baptisées Fragments, ses « figures humaines » tiennent, quant à elles, plus de la ruine que de l’anatomie : constitués d’un agrégat de ciment, de filasse, de fer à béton et de pigments, ces corps imparfaits, tronqués, atrophiés, agenouillés dans un équilibre instable, semblant près de tomber à la renverse, représentent, selon leur auteur, « l’homme en train de se construire, dans sa tentative de tenir debout » : « Il me semble que nous sommes tout autant du côté de la construction que de la ruine. »

  1. Extrait de l’entretien entre Lionel Sabatté et Aurélie Voltz, directrice du MAMC de Saint-Étienne et commissaire de l’exposition, dans le catalogue de l’exposition.
  2. « Organismes et Fantasma », série de monotypes exposée à la Galerie 8+4 jusqu’au 6 novembre. Galerie 8+4 – 38, rue de Turin, 75008 Paris   

Exposition « Lionel Sabatté – Éclosion »

Jusqu’au 2 janvier 2022
Au musée d’Art moderne et contemporain de Saint-Etienne
mamc.saint-etienne.fr

– Échafaudages
Espace Jacques Villeglé

Place François-Truffaut, 95210 Saint-Gratien
Du 7 octobre au 11 décembre 2021

– Possible Remains of our Future
Galerie Ceysson & Bénétière

956, Madison Avenue, 10021 New York – États-Unis
Du 10 novembre au 18 décembre 2021

https://lionelsabatte.org/

Par Stéphanie Dulout