CARESSER LA MATIÈRE DU REGARD
CARESSER LA MATIÈRE DU REGARD
Sous son regard, la pellicule devient une peau vibrante, sensible à la lumière, marquée par son environnement. Ainsi Yasmina Benabderrahmane se représente-t-elle son médium. Photographe et cinéaste expérimentale, l’artiste trace sur celui-ci les récits des corps et des rencontres, des lieux et des individus croisés.
Ici, la peau rencontre la pâte du henné, la terre se brusque contre le vent, le geste minutieux de l’ouvrier ricoche sur celui de la grand-mère. La lumière accroche les surfaces animales, métalliques et minérales avec la même intensité. La Bête (2020), La Renardière (2016), Bain céleste (2015) : les titres des œuvres de l’artiste portent un goût de rêverie entre histoire collective et conte ésotérique. Derrière la surface granuleuse et le cadrage spontané, reflet des pérégrinations de son auteure, on perçoit la tradition du journal filmé super-8 d’un Joseph Morder. La matière épidermique du corps et de la pellicule s’inscrit bien également dans la veine du cinéma personnel français de la fin du XXe siècle. Entre l’un et l’autre, il émerge surtout un geste de soin et de partage. N’est-ce pas d’ailleurs son histoire que Yasmina Benabderrahmane découpe et recompose en même temps que l’image filmique et photographique ? À la limite de l’abstraction, la macro et les gros plans offrent l’objet sans le révéler en entier, s’approchent du sujet sans trahir son intimité. L’humain s’y compose au milieu des éléments, dans le corps de la pellicule noir et blanc ou couleur, jouant des désaturations comme d’un brouillard intemporel où chaque image existe en complémentarité de ses congénères.
Yasmina Benabderrahmane, La Bête, un conte moderne, LE BAL et MACK BOOKS, 2020
yasminabenabderrahmane.com
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