« La pandémie n’a fait que conforter le fond du message d’Art Explora qui est de s’intéresser à tous les publics, et notamment les publics éloignés »
Frédéric Jousset
« La pandémie n’a fait que conforter le fond du message d’Art Explora qui est de s’intéresser à tous les publics, et notamment les publics éloignés »
Frédéric Jousset
Avec un collectif de personnalités du monde culturel, il a récemment remis à la ministre de la Culture dix propositions pour permettre la réouverture des musées. À la tête de la fondation européenne Art Explora qu’il a créée en novembre 2019 et d’ArtNova, son fonds d’investissement à impact de 100 millions d’euros, Fréderic Jousset, aussi entre autres fonctions, co-fondateur du Groupe WebHelp, propriétaire de Beaux-Arts Magazine, président de l’association des anciens élèves du groupe HEC, grand mécène du Louvre, multiplie les initiatives pour démocratiser l’accès à la culture auprès de tous les publics. Conscient que la culture a le pouvoir de rassembler les hommes, cet entrepreneur et mécène imagine avec son équipe – salariés et bénévoles – ayant rejoint la Fondation, les dispositifs innovants pour initier de nouveaux formats de rencontres entre les œuvres et leurs publics divers et pour soutenir les acteurs culturels et la création. Rencontre avec un homme de combat porteur d’un message universel.
Vous avez récemment cosigné une tribune dans Le Monde appelant à la réouverture des musées, et vous avez remis 10 propositions en ce sens à Roselyne Bachelot, ministre de la Culture. Pouvez-vous nous en dire plus sur les avancées obtenues ? Certaines des propositions ont-elles trouvé un écho favorable et pourraient-elles déboucher sur un prochain accord ?
Frédéric Jousset : La réunion avec la Ministre a eu lieu le lundi 8 février au matin. Roselyne Bachelot a reçu une trentaine de directeurs de centres d’art et de musées via Zoom. Notre message a été entendu, elle a écouté les doléances et surtout noté l’absurdité de laisser les musées fermés alors que les bibliothèques et les galeries d’art sont ouvertes. Roselyne Bachelot a également pris en compte les protocoles sanitaires pouvant être déployés et a insisté sur le fait que les musées seront prioritaires en matière de réouverture dès la levée du couvre-feu. La Ministre attend maintenant que le taux d’infection se stabilise, puis commence à baisser, pour rouvrir les portes des musées, car tous les lieux culturels ne présentent pas les mêmes risques d’un point de vue sanitaire.
Vous venez d’annoncer la toute première promotion des 13 artistes internationaux qui intègreront les résidences Art Explora – Cité internationale des arts, à Montmartre, au printemps 2021. Qu’est-ce qui vous a marqué dans les candidatures reçues et que retenez-vous de cette première sélection ?
En premier lieu, j’ai pu constater la forte attractivité du programme de résidences Art Explora – Cité internationale des arts qui donne la possibilité à des artistes et des chercheurs de développer un travail de recherche et de création au cœur de Paris, en lien avec la scène artistique et professionnelle française. En un temps record de cinq semaines, nous avons ainsi reçu 1 000 candidatures provenant de 68 pays différents, et ce dans un contexte de pandémie qui rend ce genre d’engagement incertain. Pour beaucoup de pays concernés, nous ne sommes pas sûrs que les restrictions de voyage puissent être levées. Les artistes qui nous ont envoyé leur candidature ont donc fait un véritable acte de foi. Notre programme de résidences est innovant et surtout unique par sa conception : nous parlons de promotion. L’effet collectif joue et intéresse beaucoup les artistes.
Nous avons aussi réuni un jury prestigieux, composé de nombreuses personnalités de l’art comme Christine Macel, directrice artistique du Pavillon international de la Biennale de Venise en 2017 ou encore Hans-Ulrich Obrist, directeur artistique des Serpentine Galleries à Londres. Outre ce jury d’exception, qui souligne la qualité et l’ambition du projet, les conditions d’accueil et surtout la qualité des logements que nous offrons sont un autre élément d’attractivité. Nous disposons en effet d’ateliers allant de 50 à 100 m² – certains avec vue sur le Sacré-Cœur – situés dans un parc d’un demi-hectare complètement isolé du monde. On y est à la fois en ville et à la campagne ! À cela s’ajoute une généreuse bourse de production et de résidence qui permet de vivre sans contraintes matérielles le temps du séjour.
Je pense que le succès du programme vient aussi d’une combinaison attractive entre la ville de Paris, qui reste une capitale de la création dans beaucoup de disciplines, et l’histoire très particulière de la butte Montmartre, qui est une véritable matrice en matière de références artistiques. De nombreux courants du début du XXe siècle sont nés ici, comme le cubisme ou le surréalisme. L’ADN du lieu est très fort !
Nous sommes donc très contents. Nous ouvrirons nos portes au printemps, en commençant par accueillir les artistes français et ceux qui peuvent venir d’Europe sans trop de restrictions, puis nous accueillerons progressivement les autres créateurs, en fonction de l’ouverture des frontières.
Avez-vous l’intention d’accompagner par la suite les artistes participant à ce programme de résidences, que ce soit dans la poursuite de leur formation, dans la production de leurs œuvres ou leur commercialisation sur le marché de l’art ?
Bien sûr ! Il s’agit d’un accompagnement à 360°. Tout d’abord, des bénévoles de la fondation Art Explora sont investis dans ce programme et vont s’assurer que les artistes sont intégrés, qu’ils ont des contacts réguliers avec les locaux. Quand nos artistes vivront à Paris, ils pourront dîner avec des Parisiens qui leur feront découvrir des lieux, afin de ne pas être complètement « hors-sol » lors de leur séjour qui durera entre trois et six mois. La crainte de se retrouver livré à soi-même est toujours présente lorsque l’on arrive dans une ville nouvelle.
Nous ferons également bénéficier ces artistes de notre réseau de galeristes et de curateurs, pour assurer leur promotion. Nous mettrons aussi à leur disposition des lieux d’exposition insolites visant à rendre accessible la culture au plus grand nombre.
Les artistes sélectionnés ont déjà, pour la plupart, une dizaine d’années de pratique. Ce sont des artistes confirmés qui ont déjà exposé en solo dans des fondations connues. Le programme a été conçu pour être un véritable accélérateur de carrière et le monde de l’art est très intéressé par ce que nous mettons en place.
Il y a vingt ans, vous cofondiez l’entreprise Webhelp qui est devenue l’un des leaders mondiaux de la relation client. Qu’est-ce qui vous a décidé aujourd’hui à vous investir totalement dans la culture et à fonder Art Explora ?
C’est une conjonction de facteurs. C’est un engagement qui prend sa source dans la philanthropie, à laquelle j’ai commencé à me livrer en 2007 avec le musée du Louvre. Après m’être engagé sur le thème des « publics empêchés », je ne voulais plus me cantonner à un seul musée, parce que cela pouvait revenir à être prisonnier d’une période, d’une technique, d’un territoire. J’avais envie d’élargir mon mode d’action, avec pour fil rouge l’accès à la culture pour tous les publics.
Ce sont plusieurs prises de conscience qui m’ont fait passer à l’action. Le mouvement des Gilets Jaunes a été un moment fort. Quand j’ai vu le Louvre tagué et les sculptures de l’Arc de Triomphe vandalisées, je me suis dit que cette fracture culturelle débouchait vraiment sur une fracture sociale. Il s’agit donc d’un vrai problème de société. Ces monuments publics, qui appartiennent donc à tout le monde, ont été néanmoins perçus comme des émanations de la culture bourgeoise parisienne. Il y a une déconnexion entre le monde du patrimoine et de l’art et une partie de la population qui ne considère pas ce monde comme le sien.
Ces révoltes, conjuguées avec mon trajet personnel dont les 20 ans de Webhelp et la naissance de ma fille, ont été des éléments déclencheurs. La prise de conscience et l’envie d’agir se sont conjuguées simultanément : je me suis alors dit qu’il était grand temps de me lancer dans cette nouvelle aventure. Je considère cette initiative comme une aventure entrepreneuriale, à la différence que l’objectif n’est pas le profit, mais l’impact. Je crée une plateforme de marques, je crée une raison d’être, je crée des guides, des technologies, des produits… Pour cela, il faut du temps et de l’argent, mais aussi beaucoup d’énergie. Or, j’ai le sentiment que si je ne le fais pas maintenant, ce n’est pas dans quinze ans que j’aurai l’énergie nécessaire pour créer un projet avec une ambition mondiale.
Depuis que vous avez lancé Art Explora il y a un an, la culture et des institutions culturelles ont été bouleversées par la pandémie. Quelles avancées et innovations vous semblent les plus intéressantes pour l’avenir de celles-ci ?
La pandémie n’a fait que conforter le fond du message d’Art Explora qui est de s’intéresser à tous les publics, et notamment les publics éloignés – qui sont parfois sur le même territoire.
La pandémie a stoppé le tourisme international. Les musées qui ont réussi à développer un lien avec la population locale avec la « culture de proximité » – de la même manière qu’on parle de circuits courts dans l’alimentaire – s’en sortent mieux que ceux qui dépendaient exclusivement du public international. Nous l’avons vu avec la première édition du Prix européen Art Explora – Académie des beaux-arts destiné aux musées, que nous avons remis en décembre pour récompenser les initiatives muséales en faveur de tous les publics : nous avons reçu 350 candidatures de tous les plus grands musées d’Europe ! Nous sommes arrivés avec de l’argent à un moment où ceux-ci n’en avaient plus. Le message a trouvé un écho unique, ils ont compris qu’il s’agissait vraiment d’une priorité.
La fondation Art Explora
Créée en novembre 2019, Art Explora est une fondation philanthropique à l’ambition internationale, nomade, sans collection et digitale. La fondation a pour ambition de réduire la fracture culturelle en s’appuyant sur des technologies et dispositifs innovants, afin de créer du lien entre les œuvres et le public, et notamment les publics éloignés. Partager la culture avec le plus grand nombre est le défi majeur que la fondation et son équipe composée de nombreux bénévoles investis comptent relever, par leurs initiatives et leurs ambitions mondiales.
Certaines technologies et innovations (p. ex. numérisation, approche du public) sont-elles plus prometteuses que d’autres ?
Il y en a beaucoup, mais le problème est que la technologie toute seule ne fonctionne pas. Il faut un ensemble qui combine technologie et médiation. Ainsi, l’amélioration des sites internet, la mise en ligne de tous les contenus ou encore l’ouverture des connexions numériques ne favorisent pas forcément l’accès à la culture pour tous. Par exemple, les gens qui surfent sur le site internet du Louvre sont uniquement des gens qui vont ou qui ont été au musée. Certes, cela améliore le lien avec le public existant, mais peu de nouveaux publics sont ainsi conquis.
Les technologies qui recrutent sont celles qui sont les plus proches du monde de l’entertainment et du jeu vidéo. Je pense par exemple à la révolution qu’est l’Atelier des Lumières qui génère 1,5 million de visiteurs par an. Les visiteurs sont des familles ou des primo-visiteurs qui n’ont jamais été dans un musée, mais qui viennent voir des œuvres projetées sur des murs. Projeter des œuvres en très haute définition, dans des lieux spectaculaires, c’était une révolution et cela a créé de nouveaux publics !
L’amélioration des audioguides, qui sont vieillissants dans certains musées, et plus généralement de la médiation au sein des musées, est un autre axe de progression. La possibilité d’enrichir l’expérience de visite en partant d’un smartphone ou l’utilisation des codes QR, par exemple, permet de casser la barrière et de mieux engager le visiteur.
Quelques initiatives portées par la fondation Art Explora
Ouvert à toutes les institutions culturelles européennes publiques ou privées, le Prix européen Art Explora – Académie des beaux-arts veut distinguer et amplifier les pratiques innovantes et particulièrement remarquables en direction des publics, afin de donner à celles-ci un véritable coup d’accélérateur : innovations numériques, actions hors les murs, inclusion des personnes en situation de handicap, lutte contre l’exclusion culturelle, nouvelles médiations, éveil culturel pour les plus jeunes, programmes pour des publics exclus ou empêchés… Le 3 décembre 2020, lors de la remise des prix de la première édition, les trois lauréats distingués étaient le Mucem, le musée national Thyssen-Bornemisza et la National Gallery.
En association avec la Cité internationale des arts, Art Explora a construit un programme de résidences inédit à destination des artistes et chercheurs du monde entier pour leur permettre de développer un travail de recherche et de création au cœur de Paris. Encourageant la création sous toutes ses formes tout en facilitant sa diffusion auprès du plus grand nombre, ce dispositif attache une attention particulière aux questions de médiation auprès de tous les publics, y compris les plus éloignés, ainsi qu’à la rencontre avec les artistes. Ouverte au printemps 2021, la première saison accueillera 13 résidents.
Fondé en 2011 par Ingrid Brochard, le MuMo (musée mobile) veut rendre l’art moderne et contemporain accessible à ceux qui en sont éloignés, comme les scolaires et les structures du champ social et médico-social (p. ex. maisons de retraite, centres sociaux, foyers d’enfants). À travers son programme, le MuMo a pour objectif de contribuer à développer l’intelligence émotionnelle, l’imaginaire, l’esprit critique et la capacité de coopération de ces publics éloignés. La fondation Art Explora s’est associée à ce projet et au Centre Pompidou pour créer un nouveau camion-musée qui partira sur les routes de France pour aller au-devant de tous les publics à partir de début 2022, permettant ainsi à des œuvres d’art moderne et d’art contemporain du Centre Pompidou de voyager dans plusieurs régions et villages de France.
Autre projet d’Art Explora : une plateforme digitale consacrée à l’histoire de l’art et accessible à tous doit être mise en ligne avant l’été 2021. Entièrement gratuite, disponible en français et en anglais, et d’abord pensée pour un usage sur smartphone ou tablette, cette plateforme digitale dédiée à l’histoire de l’art veut conjuguer une pédagogie innovante et des ressources issues des différentes institutions culturelles ou acteurs de l’audiovisuel public. À terme, 11 parcours de découverte de l’histoire de l’art, conçus avec Sorbonne Université, seront proposés aux utilisateurs qui pourront s’évaluer et décrocher un certificat.
Bateau hors normes, ARTEXPLORER sera le plus grand catamaran du monde. Partant du constat qu’environ 60 % de la population mondiale vit à moins de 60 kilomètres d’un littoral, ce bateau à voile a été pensé comme un véritable musée numérique et nomade, naviguant de port en port pour faire vivre des expériences immersives et faire découvrir au public les grands chefs d’œuvres artistiques à l’aide des avancées technologiques. Sa mise à l’eau est prévue pour 2023.
Quelle est votre conception du musée idéal ?
Maintenant que je suis père de famille, mon musée idéal serait un musée conçu à la fois pour les petits et pour les grands. Quand on veut emmener des enfants au musée, trop souvent, il faut faire un choix : soit ce sont eux qui s’amusent et vous qui passez le temps sur votre portable, soit c’est vous qui êtes intéressé par la visite et eux qui s’ennuient. J’aimerais que les musées fassent la même révolution qui a été faite par les stades de football : on peut emmener son enfant voir le PSG jouer, puis déjeuner dans le resto du club, visiter la boutique, jouer en simulation virtuelle… C’est une expérience plurielle qui peut intéresser des publics de différents âges.
Dans les musées, la partie famille et enfants est encore très peu développée. Or, un des gros enjeux de l’accès à la culture pour tous, c’est d’arriver à attirer les enfants. C’est à cet âge que se joue l’éveil ! La Fondation Louis Vuitton est en avance dans ce domaine, avec des ateliers destinés aux enfants et une attractivité renforcée par la proximité du Jardin d’acclimatation. C’est une dimension qui nous tient à cœur et que nous souhaitons intégrer au mieux dans nos futurs projets d’accueil du public.
Si vous étiez un artiste, quels thèmes aborderiez-vous dans vos œuvres ?
J’aimerais utiliser la palette de couleurs pour m’engager dans un combat. Si j’étais un artiste, je pense que j’aurais envie d’éveiller les consciences et de favoriser les comportements autour du thème de la transition écologique et pour la préservation de la planète. C’est une cause qui me donnerait envie de prendre mes pinceaux et de peindre.
Fondation Art Explora : https://artexplora.org
Cliquez ici pour signer la Pétition pour la réouverture des musées