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Quand la fureur du trading s’empare des millennials et de la génération Z

De nouvelles applications de courtage qui démocratisent l’accès aux marchés financiers rencontrent un franc succès auprès de la nouvelle génération. Malgré le contexte économique incertain, nombre de millennials et de jeunes de la génération Z se sont lancés dans le trading par le biais de ces applications pendant le confinement, non sans risque et controverses…

Trois millions de nouveaux utilisateurs en six mois ! C’est le record impressionnant enregistré par Robinhood, une récente application de trading qui fait fureur outre-Atlantique. Fondée en 2013 par Vladimir Tenev et Baiju Bhatt, deux anciens du mouvement Occupy Wall Street qui voulaient démocratiser l’accès aux marchés financiers, Robinhood propose une interface ludique, intuitive et interactive permettant de réaliser des opérations exonérées des habituels frais de courtage. Avec cette application, investir en bourse devient facile comme un jeu d’enfant, et chaque transaction y est même saluée à l’écran par une pluie de confettis ! Avec son approche révolutionnaire du trading par une « gamification » de la bourse, Robinhod a attiré depuis son lancement 13 millions d’utilisateurs, pour la plupart âgés de moins de 35 ans, atteignant l’été dernier une valorisation de 8,6 milliards de dollars.

Cet engouement des millennials pour le trading s’est même considérablement renforcé avec la pandémie, les jeunes passant plus de temps sur les écrans, avec le besoin de trouver un passe-temps et portés par l’espoir de réaliser des gains rapides dans le contexte d’un marché de l’emploi atone. Cette situation a pleinement bénéficié aux nouveaux acteurs du trading que sont Robinhood et ses concurrents, et depuis mars 2020, les chiffres donnent le vertige : les avoirs déposés par les utilisateurs de Robinhood y ont été 17 fois plus élevés qu’au quatrième trimestre 2019. De février à mars 2020, l’activité a enregistré une croissance de 60 %, avec une moyenne de 4,3 millions de transactions quotidiennes, et le site de courtage a réussi à attirer la moitié des nouveaux investisseurs sur les marchés financiers. D’autres applications de trading aux concepts similaires comme eToro ou Raging Bull rencontrent le même succès, en proposant une nouvelle approche des marchés financiers adaptée aux usages des millennials et de la génération Z : facilité d’utilisation de l’interface, exonération totale ou partielle des frais de courtage habituels, et mise en valeur des utilisateurs les plus performants auprès de la communauté, comme de véritables influenceurs à l’heure où Twitter ou les réseaux sociaux sont capables d’influer fortement sur les cours de bourse. Les abonnés peuvent échanger entre eux et copier des modèles de portefeuille pour espérer reproduire leur performance, sans avoir besoin des connaissances complexes des mécanismes financiers. Au premier trimestre 2020, les applications de trading Robinhood, eToro et Raging Bull ont ainsi réalisé une croissance respective de 300 %, 220 % et 158 %, attirant en grande partie des primo-boursicoteurs. En mars 2020, 56 % des nouveaux utilisateurs de Robinhood investissaient en bourse pour la première fois et ils étaient pour la plupart âgés de moins de 35 ans. Au cours des mois qui ont suivi le déclenchement de la pandémie, l’âge moyen des investisseurs particuliers a diminué de dix à quinze ans.

Comment investissent les millennials ?

Le profil d’investisseur des millennials est à l’image de leur génération. N’ayant pas ou peu vécu la crise de 2008, et ayant connu une évolution globalement favorable des indices boursiers ces dernières années, ils font preuve de plus d’appétit pour le risque et de plus d’optimisme que leurs aînés. Ainsi, la génération Y investit davantage que l’ensemble de la population dans les produits dérivés, comme le souligne une récente étude d’E-Trade. Une enquête du courtier Schroders révèle par ailleurs que les 18-37 ans tablent sur des rendements annuels moyens de 11,7 %, contre 7,5 % pour les baby-boomers et 10,7 % pour l’ensemble des investisseurs, tous âges confondus. Quant aux préférences des millennials, ils privilégient naturellement les secteurs et entreprises qui leur sont familiers, notamment les services digitaux ou la technologie avec des sociétés, comme Tesla qui figure en tête des titres les plus prisés, ou encore des valeurs auxquelles ils sont sensibles, comme celles liées à l’investissement responsable. Confiants en la reprise après la pandémie, ils n’ont pas hésité à investir dans des titres malmenés par la crise, comme le transport aérien, ou bien d’autres secteurs qui au contraire pouvaient tirer parti de l’accélération de la digitalisation causée par le confinement telles les start-up offrant des services de vidéoconférence.

Une frénésie d’investissement qui suscite controverses et risques

L’engouement soudain de la jeune génération pour l’investissement n’a pas manqué de susciter des controverses retentissantes face aux risques encourus par ces millennials sans réelle expérience de la Bourse. Si elles sont présentées de manière intuitive et ludique, les transactions n’en demeurent pas moins bien réelles, tout comme les pertes ou les gains potentiels générés, et ce alors que les produits financiers proposés ne se limitent pas aux seules actions : options, CFD et autres placements à effet de levier sont accessibles en quelques clics, sans que les utilisateurs aient conscience des risques encourus. Certaines personnes, développant une forme d’addiction, y ont ainsi rapidement englouti toutes leurs économies, subissant une perte sans faire de profit !

Par ailleurs, face à l’afflux des nouveaux utilisateurs, Robinhood a connu certains problèmes, notamment des bugs techniques qui ont entraîné des arrêts de fonctionnement qui pouvaient s’étaler sur plusieurs jours, rendant impossibles toutes opérations. Ces dysfonctionnements ont parfois eu des conséquences dramatiques, comme au cours de l’été lorsqu’un étudiant de 20 ans s’est donné la mort après avoir constaté que son compte affichait un solde négatif de -730 000 dollars… alors que quelques jours plus tard, cette balance se révélait être la conséquence d’une erreur technique liée à des opérations non encore comptabilisées : le compte était en réalité positif ! À la suite des déboires rencontrés avec l’application de courtage, des utilisateurs n’ont pas hésité à se rendre directement au siège de Robinhood pour confronter les équipes. Depuis, des vitres blindées protègent l’entrée du siège de la start-up aux États-Unis.

Outre les problèmes potentiels liés aux choix d’investissement faits par ces traders issus des générations Y et Z, les interactions de leur communauté sur les applications de trading ont pu aussi renforcer la volatilité des marchés et de certains titres. Ainsi, d’une manière paradoxale, les actions de Hertz ont connu une hausse de 800 % quelques semaines après la déclaration de faillite de l’entreprise en mai 2020. Or, il s’avère que celles-ci figuraient parmi les actions les plus populaires sur Robinhood, détenues par plus de 160 000 utilisateurs.

Plus récemment, fin janvier, l’emballement spéculatif sur les actions de l’entreprise Gamestop a fait trembler les marchés financiers et vaciller les Hedge funds, mettant en exergue le pouvoir de cette nouvelle génération de « boursicoteurs ». Communiquant sur les réseaux sociaux et des forums comme Reddit, notamment la section r/wallstreetbets, ces utilisateurs se sont ligués pour soutenir Gamestop, entreprise de jeu video en difficulté, mettant à mal les fonds qui, pratiquant la vente à découvert, misaient sur la baisse de l’action. Par sympathie pour l’entreprise, ou par espoir du gain et pour nombre d’entre eux, mus par la volonté de contrer des fonds symboles du capitalisme financier, ces traders de la nouvelle génération ont racheté massivement des titres de Gamestop, faisant passer le cours, en l’espace de 15 jours, de 20 à 492 dollars. En faisant ainsi monter le cours, ils ont obligé les fonds pratiquant la vente à découvert à se couvrir en rachetant les titres de Gamestop à un prix des centaines de fois supérieur au prix initial, leur causant des pertes colossales – 3,75 milliards de dollars pour le seul fonds Melvin Capital – obligeant même l’application Robinhood, à limiter les transactions sur le titre.

Si Robinhood n’est pas encore disponible en France, d’autres applications concurrentes comme eToro le sont déjà, et ce nouvel intérêt des millennials pour le trading incite d’autres acteurs à investir le créneau comme Trade Republic, une application de courtage allemande qui vient d’annoncer son lancement en France. Alors, demain, tous boursicoteurs ? Ce qui est certain est que l’univers du trading est entré dans une nouvelle ère !