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La newsletter révolutionne l’industrie des médias

Devenir son propre patron, contrôler son contenu et parler à une audience qui écoute et, pour certains, quitter leur rédaction pour travailler en toute indépendance, c’est la route que prennent de nombreux journalistes américains en lançant leur propre newsletter. Similaire au principe de l’abonnement payant, ce nouveau modèle offre un contenu par e-mail régulier, capable de procurer des revenus croissants. Cette approche innovante est-elle la solution pour faire face à la crise que traverse la presse écrite ?  

Journaliste américain, Casey Newton vient de quitter le grand média The Verge où il couvrait depuis sept ans les sujets d’actualité et les questions de technologie de la Silicon Valley et sous la coupe duquel il avait créé sa première newsletter, The Interface. À l’origine du départ de Casey Newton, le lancement de sa propre newsletter, Platformer, incitant ses 20 000 abonnés à le suivre : « Je voulais contrôler mon destin. Lorsque vous travaillez pour quelqu’un d’autre, vous courez toujours le risque que votre entreprise soit vendue, qu’elle traverse une crise économique, etc. Lorsque vous travaillez pour vous-même, vous pouvez planifier votre avenir. » Focalisée sur l’actualité des GAFA, sa newsletter indépendante propose un journalisme d’investigation, des enquêtes et des reportages dont les informations sont suffisamment importantes pour être proposées en contenu payant.

Lancée en octobre 2020, Platformer totalise après un mois d’activité 30 000 abonnés gratuits et plus de 1 000 abonnés payants, représentant déjà un chiffre d’affaires annuel de 100 000 dollars américains. Bien que son lectorat payant reste aujourd’hui inférieur à celui de The Interface, Casey Newton est confiant dans l’avenir : « Cela m’a semblé être un pari vraiment intéressant à faire. Je vais travailler vers mes objectifs au fil du temps. Je serai bientôt dans une position de pouvoir créer des emplois et recruter quelqu’un pour faire plus de reportages. Je peux embaucher un graphiste. Je peux commencer – de façon très minimale – à reconstruire un peu de ce qui a été perdu avec une petite entreprise et trouver des solutions pour l’avenir»

Un nouveau modèle économique se dessine

Popularisée par la plateforme de newsletters Substack créée en 2018, cette nouvelle façon de travailler tente de plus en plus de journalistes. Fondée par Chris Best, Hamish McKenzie et Jairaj Sethi, Substack compte seulement 12 employés, mais mise sur un chiffre d’affaires de 2 millions de dollars à la fin de l’année 2020. En seulement deux ans, la croissance du nombre d’abonnés a été exponentielle, passant de 11 000 à 250 000 abonnés sur l’ensemble des newsletters.

Le principe est simple : un journaliste, ou toute personne qui le souhaite, s’inscrit sur la plateforme et crée une newsletter qui sera diffusée à quiconque s’y abonne. Le concept est assez rapidement monétisable pour les auteurs déjà renommés. Hamish McKenzie, l’un des cofondateurs de Substack, explique qu’avec leur modèle de plateforme, « les chiffres ne doivent pas être énormes pour produire des revenus significatifs. Si vous pouvez convaincre quelques milliers de personnes de payer 5 dollars par mois pour vos informations, vous pouvez gagner 100 000 dollars américains par an ». Nombreux sont les journalistes reconnus comme Casey Newton qui ont sauté le pas : Polina Marinova, journaliste tech et business de Fortune, Haley Nahman, rédactrice en chef adjointe de Repeller ou encore Matt Taibbi, journaliste politique de Rolling Stones.

Les journalistes reprennent le contrôle de leurs mots

Cette tendance à l’individualisation du journalisme a commencé à se développer il y a quelques années avec Twitter, la plateforme de microblogging créée en 2006. Ce réseau social apprécié des journalistes leur a permis de créer leur propre offre éditoriale et de travailler leur image individuelle, indépendamment de leur rédaction et du média qui les emploie. Grâce à Twitter ou à d’autres réseaux sociaux, les journalistes peuvent créer leur propre audience et développer leur communauté d’abonnés, en basculant ensuite sur un modèle de diffusion payant et indépendant, comme la newsletter individuelle.

Face à la crise du modèle traditionnel de la presse écrite qui est confronté au boom des réseaux sociaux et aux difficultés causées par la pandémie internationale, ces journalistes tentent de redonner un sens à leur métier. Plus que jamais, le moment semble propice à la prise de risques. Devant des pressions toujours plus importantes, les journalistes veulent s’écarter du contrôle des algorithmes, des lecteurs qui ne lisent pas la totalité d’un article ou encore de leur dépendance aux revenus publicitaires, en diminution dans la presse écrite.

Le digital : un problème… ou une solution !

Au lieu de vouloir « sauver », un modèle économique en crise, l’heure est à la réinvention des médias et à une nouvelle façon d’accéder à l’information. En prenant la parole et en individualisant leur travail, ces journalistes s’adressent désormais à une nouvelle audience, la génération Z, qui est plus encline à soutenir et à s’engager, y compris financièrement, pour les projets auxquels elle croit. Les jeunes de la génération Z sont les premiers à acheter un tee-shirt fait par leur youtubeur préféré ou à soutenir une marque qu’ils aiment, et ils apprécient l’indépendance et l’authenticité. Activiste et parfois anticapitaliste, cette nouvelle génération a tendance à se méfier des actualités diffusées par les institutions, préférant les informations qui peuvent servir leur cause.

Devant le déferlement des fake news ou la défiance des lecteurs à l’égard des médias traditionnels, le modèle de la newsletter offre une information individualisée et inspire confiance en mettant en avant des auteurs plutôt que des institutions. Cette nouvelle forme d’information peut aussi redonner de l’espoir en réinventant, par de nouveaux canaux et une nouvelle manière de faire, un métier qui pour beaucoup avait perdu de son sens.