Q : Quels ont été les effets de la crise sur les pratiques du secteur du retail et de la distribution ? Quelles transformations pourrait influer l’environnement post-covid ?
CB : Cette période a eu un impact considérable sur le secteur de la distribution et le retail, avec de fortes différences selon le segment concerné. Sur le plan de l’activité par exemple, la crise a pu bénéficier à l’alimentaire dont les ventes ont enregistré une croissance historique au début du confinement. A contrario dans l’habillement, la fermeture des commerces de biens “non essentiels” et la réévaluation par certains consommateurs de leurs besoins, ont entraîné une baisse record des dépenses des consommateurs dans ces segments.
En matière de pratiques, le premier effet constaté au cours de cette période est une progression considérable du e-commerce. En huit semaines, la part du online et multicanal dans le retail a fait un bond de cinq à dix ans ! Ainsi aux Etats-Unis, la pénétration digitale du retail a réalisé une hausse de 11 points, passant de 16% à 27% sur cette période, soit autant qu’au cours des 10 dernières années. Une partie des acteurs se sont transformés à grande vitesse, mettant en place de nouveaux outils, réévaluant leurs stratégies et développant leurs services omnicanal auprès des consommateurs, non sans influer sur les comportements des consommateurs. La crise risque de creuser le fossé entre les entreprises les plus matures et celles souffrant de modèles vieillissants. Pour reprendre les mots de Warren Buffett, “c’est quand la mer se retire qu’on voit ceux qui se baignaient nus”. La crise semble prouver en effet que le degré de maturité digital est l’atout principal en termes de résilience pour les entreprises de distribution, et la sortie de crise sera beaucoup plus difficile pour les acteurs qui ont pris du retard en ce domaine. Le temps pour eux n’est plus au compromis mais à l’action pour adapter leur business model”.
Quels ont été les effets de la crise sur le comportement des consommateurs et quelle pourrait être la nouvelle normalité pour la consommation post-Covid ?
C.B : “Le confinement a bouleversé les habitudes des consommateurs. S’il est trop tôt pour évaluer les impacts réels et à moyen terme, la crise semble avoir été un catalyseur de grandes tendances de fonds et un accélérateur de tendances émergentes.
La plus grande attention aux enjeux sanitaires et environnementaux, ainsi qu’une quête de sens liée au confinement ont renforcé l’aspiration à une consommation responsable, dans une optique de consommer moins mais mieux. Par ailleurs, la modération imposée par le confinement pourrait perdurer après la crise, par le fait des consommateurs : la remise en question de leurs habitudes, leurs inquiétudes en matière de pouvoir d’achat pourrait accentuer la tendance d’une déconsommation choisie. Autant de facteurs qui pourraient conforter le boom de l’économie circulaire et du marché des biens de seconde main, déjà observé avant la crise comme l’ont montré le succès de Vestiaire Collective dans la mode et le luxe, ou de BackMarket dans les biens électroniques.
La crise a renforcé le plébiscite des consommateurs pour la consommation locale. Soit pour des questions affinitaires ou de patriotisme, avec la prise de conscience de la dépendance de l’Occident à l’Asie ou les appels de soutien aux agriculteurs. Ou par souci de sécurité sanitaire et la réassurance procurée par les circuits courts et transparents. Les acteurs de l’alimentaire oeuvrent en ce sens, comme l’illustre les producteurs et grossistes qui ont créé leurs sites internet pour vendre leurs produits. Selon un sondage Odoxa réalisé pour Les Echos en avril, 92% des français considèrent d’ailleurs la relocalisation des entreprises comme la priorité de l’après-crise, même si cela implique une hausse des prix. Cette tendance place la question des circuits d’approvisionnement au coeur des enjeux stratégiques des entreprises pour la période post covid.”
Comment les acteurs du retail et de la distribution s’adaptent-ils à ce nouvel environnement ? Quelles sont les implications pour leurs modèles économiques ?
C.B : “Le e-commerce impose aux entreprises une véritable transformation de leurs modèles. Le maître mot en matière de stratégie omnicanal est d’offrir une expérience “fluide”, c’est à dire de proposer au consommateur une offre accessible et synchronisée sur l’ensemble des canaux d’information et de distribution internet, mobile et physique. Par ailleurs, avec le digital, les consommateurs développent de nouvelles habitudes et exigences.
Aujourd’hui un client doit pouvoir passer indifféremment du virtuel au physique à chaque étape du parcours d’achat – choix du produit, décision d’achat, paiement et mise à disposition – sans qu’il n’y ait aucun frottement ou obstacle entre les plateformes. Cela s’illustre avec la multiplication du Drive, des services de Click & Collect ou de livraison à domicile. Ou par exemple quand, pour un client qui se rend en magasin son choix d’achat étant déjà fait, celui-ci passe par une application pour faire sa commande et la régler sur sur smartphone avant de collecter directement ses achats à un comptoir dédié, plutôt que de prendre du temps à trouver le produit dans les rayons et patienter à la caisse pour payer.
S’il est encore trop tôt pour savoir sur quel rythme se poursuivra la croissance du e-commerce dans l’après crise et si un plateau a ou non été atteint, on peut s’attendre en revanche à ce que les consommateurs restent sur le même niveau d’exigence en matière d’offre et de service. Pour les entreprises, cela implique par exemple la mise en oeuvre d’une logistique agile ou de centrer davantage leur stratégie sur l’expérience client, en actes plutôt qu’en mots.
Quel pourrait être le futur modèle des magasins physiques dans l’après crise ?
La crise pourrait accélérer la transformation des espaces commerciaux. Alors que dans le modèle traditionnel, le magasin faisait fonction de lieu de présentation de l’offre et de conseil à la vente, ainsi que d’entrepôt de marchandises, le e-commerce fait évoluer la vocation de celui-ci. En effet, le choix des produits comme le conseil à la vente peuvent se faire via l’ensemble des canaux (y compris les réseaux sociaux), et il n’est plus nécessaire que l’intégralité des références soient stockée en boutique. L’adoption généralisée du e-commerce pose la question du bénéfice d’exploiter un lieu physique de grande taille en propre et en permanence. Dans ce nouvel environnement, le virtuel a un rôle essentiel sans pour autant remplacer les magasins et autres espaces “en dur”. Le magasin devient simplement l’un des leviers de l’expérience omnicanale, de l’image de marque et de la relation client.
Les événements et les espaces éphémères (les fameux “pop-up store”) constituent des opportunités pour créer des expériences sans cesse renouvelées et faire découvrir de nouveaux produits et services. Associés à un contenu numérique pertinent, ces lieux customisables contribuent à redonner aux consommateurs urbains le goût de l’expérience du shopping. Un univers plus expérientiel est l’opportunité pour les marques de faire valoir leur créativité, de repenser l’atmosphère de leurs espaces propres ou de showrooms temporaires. Les galeries d’art par exemple, ont intégré pour beaucoup l’importance de l’événementialisation à travers une participation accrue aux foires internationales ou en utilisant leurs espaces d’exposition comme lieux de conversations et de divertissement en organisant happenings, conférences d’artistes ou autres événements. La même évolution est également présente dans la mode ou le luxe : les acteurs du secteur multiplient les happenings dans des lieux insolites et louent des espaces éphémères pour promouvoir leurs produits à l’exemple des dispositifs imaginés autour des Fashion Week.
A la sortie de cette crise, les enseignes vont devoir utiliser l’ensemble des leviers existants pour optimiser leurs performances commerciales, rationaliser leurs coûts mais aussi séduire de nouveau les consommateurs. De ce point de vue, les points de vente physiques devront, plus encore qu’avant la crise sanitaire, surprendre les consommateurs pour les inciter à réinvestir les boutiques. C’est pourquoi les pop-up store pourraient continuer à se multiplier.
En tant que marque, quels devront être les points d’attention dans les interactions avec les clients dans l’après crise ?
C.B : “Avec le digital, le parcours client englobe davantage de points de contact, rendant la base de clientèle plus facilement segmentable et atteignable. L’essor du digital est ainsi une opportunité pour les marques de mieux connaître leur clientèle quantitativement et qualitativement, de renforcer leur relation notamment avec leurs meilleurs clients et de concevoir des services et informations personnalisés, en utilisant au mieux les technologies de pointe dans la data.
La pandémie a fait émerger un besoin de réassurance accru des clients dans leurs relation avec les marques. Ils attendent aussi d’une marque qu’elle soit claire sur sa raison d’être, prenne des engagements sociétaux et environnementaux voire politiques au sens large, et que ceux-ci se traduisent en actions concrètes au-delà des symboles. Dans une étude “Future consumer index” réalisée en avril auprès de 5000 consommateurs, 25% d’entre eux déclarent être prêts à payer plus cher pour des marques de confiance, et 23% pour des marques éthiques. Plus qu’avant, l’authenticité et la cohérence seront au coeur des interactions des marques avec leurs